lundi 21 juillet 2014

La force du dérisoire

La force du dérisoire

Un bouchon en faux liège de plastique, une boîte à emballer les mets pré-cuisinés, des chutes de fil de fer, rouillées, c’était la cas, un tronçon de latte de lit, cassée par trop d’ardeurs juvéniles et une pochette vide de croquettes pour chiens, constituée d’une sorte de papier plastifié imperméable, et une gitolle coupée dans la haie.
Voilà. Le tout, prêt à partir pour la poubelle, ou y gisant déjà, mais ça, il ne faut pas le dire…
Le couteau, avec son poinçon, des ciseaux, des pinces.
Ah, j’oubliais : un minuscule filet d’eau qui s’échappe en source claire d’un rocher de montagne. La Nature, à l’état d’un pur stéréotype, avec laquelle on va dialoguer.
Faire le moulin, ce n’est pas difficile : il suffit de faire six entailles longitudinales dans la moitié de ce bouchon élastique, puis de coincer dans chaque entaille une ailette découpée dans la boîte : ça tient tout seul !
Puis on perfore le bouchon, bien au milieu si possible, avec un brin de fil de fer qui servira d’axe, dépassant de chaque côté.
Pour les supports, deux autres brins de fil de fer bouclés comme une épingle à nourrice dont on aurait coupé un brin. Attention, assez longs pour que le moulin puisse tourner sans frotter en bas.
Pour la base, facile : il suffira de perforer un peu le tronçon de latte, à une distance convenable pour donner de l’aisance au moulin dans sa rotation, et de fixer les supports dans les trous.
Tiens, mais l’axe de notre moulin a tendance à s’échapper des boucles du support… Pas de souci ! deux rondelles découpées dans le reste du bouchon, fixées à l’extérieur des supports vont le tenir en place. Et oui, il ne s’agit pas que les ailettes aillent se balader loin de la chute d’eau !
Le plus dur, à première vue, va être de se trouver un tube assez long pour prendre l’eau à sa source, dans le rocher, et l’en éloigner convenablement pour créer une chute plus haute que le moulin. Il y a bien, là-haut dans la montagne, de magnifiques tiges de sureau dont il suffirait de retirer la moelle. Mais l’impatience enfantine est grande : il faut tout, tout de suite. Bien sûr, c’est un défaut, mais à quelque chose malheur est bon, car ça va obliger à mettre en route un peu de créativité !
Il y a là une gitolle, c’est à dire une tige poussée bien droite dans l’année, grosse environ comme un crayon : évidemment, pas question de la percer pour en faire un tube d’une telle longueur !
Qu’à cela ne tienne : on va découper la poche des granulés pour en faire un rectangle allongé. Il ne restera plus qu’à enrouler ce rectangle en cornet, tout au long de la baguette, et de fixer les spires avec du fil ou du papier collant. On peut même renforcer un bout avec une autre série de spires.
Pour sortir la gitolle, attention, il faut la tirer par le gros bout, sinon, impossible, ça coince !
Et maintenant, départ sur le terrain.
On a repéré un petite source dans une anfractuosité du rocher : c’est la qu’on va aménager la captation de l’eau ; Mais comme notre anfractuosité est irrégulière, il peut y avoir des fuites. Il conviendra donc de se procurer des mousses, il en existe de filandreuses dans les sources, qu’on va utiliser comme étoupe. Une fois notre prise d’eau réalisée, on va la fixer à la bonne hauteur avec une pierre, pas trop lourde pour pas écraser le tube.
Ça y est, ça coule !
Disposons maintenant l’ensemble du moulin, bien calé sous la fontaine.
Ça tourne !
Il n’y a plus qu’à attendre les curieux, qui ne vont pas manquer de s’arrêter pour admirer et faire des photos.


A cette même heure, là-bas dans le Monde, des fanatiques déments violent, massacrent, dépècent des populations qui ne demandaient qu’à vivre des bonheurs simples comme celui-ci, au nom de faux dieux sanguinaires…
« Quand on n’a que l’amour », chantait Jacques Brel ! Rien n’a changé depuis…
Et pourtant, il faut encore croire à la force imparable du dérisoire, car les peuples, eux, y croient.
Et chaque jour un peu plus !


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